Depuis plusieurs mois la situation avait dé- généré en Europe : l’ensemble des pays, très vite dépassés par ce mouvement massif de population, avaient fermé leur frontière bloquant le traffic de migrants. Ceux-ci se retrouvaient enfermés dans des camps rappelant la déportation allemande dans des conditions de vie animalières. Le manque d’intérêt des gouvernements pour ces Hommes devait prendre fin immédiatement au nom de l’humanité, et nous serons l’élément déclencheur marquant cette fin.

Place St Michel, tel était le lieu qui nous été apparu comme une évidence pour mettre en place notre action. Les souvenirs de mai 68 jaillissaient dans les pensées de chacun de nous, la mémoire de la route de la Sorbonne, cet instant où le petit peuple a su se réunir en ce lieu pour se faire entendre par le gouvernement ; il était temps pour nous de faire honneur à nos ancêtres et se battre pour cette cause qui nous était si chère. La préfecture de Paris ne nous avait bien évidemment pas donné d’accord pour une manifestation, le rassemblement se devait d’être discret et rapide pour surprendre toutes entités pouvant nuire à notre mobilisation.
A l’approche du petit matin, le ballet des migrants avait déjà pris place sur les quais de Seine à l’abri du regard de tous. Il fallait agir vite, le traffic allait s’intensifier d’ici peu.
Tandis que certains migrants montaient les escaliers pour se regrouper face à la fontaine, d’autres bloquaient le pont avec des barricades de fortune constituées de tout ce qu’ils avaient pu récupérer sur le chantier en cours sur la place ainsi que dans les cafés environnement, le départ Saint Michel et le Saint Séverin avaient été dévalisé ; notre organisme mettait en place des fortifications afin de bloquer les accès sud et sud-ouest avec l’aide de nos collègues humanitaires.

Les tentes blanches ainsi que les voitures retournées bloquaient les voies telles les sphinx de la fontaine, le quai des Grands Augustins avait uniquement été réduit à un passage permettant aux voitures de passer au compte-goutte. Il fallait rester à la vue des automobilistes empruntant la place dans l’espoir de les sensibiliser à notre cause.
Les premiers rayons écarlates du soleil se reflétaient sur le canal, accompagnés en fond par le bruit des klaxons qui s’amplifiaient au même rythme que le flux de voiture qui s’accumulait le long des quais.

L’agitation et l’impatience des passants se faisaient de plus en plus sentir, la
tension était palpable, les forces de l’ordre n’allaient pas tarder à être avertis de notre regroupement et le temps nous était compté avant que ces derniers arrivent. Il fallait agir dans l’urgence.
Deux syriens étaient montés sur la fontaine afin d’y accrocher une bannière de tissu qui flottait au vent. Les mots couleur rouge sang venaient souligner notre indignation et surtout notre détermination, nous ne bougerons pas tant que la situation n’aura pas évolué et nous étions prêts à tout pour en découdre.

Notre plan avait fonctionné, les cars de CRS n’avaient pas pu emprunter l’axe du quai Saint-Michel à cause des embouteillages et longeaient le quai du Marché Neuf, de l’autre côté, pour essayer de rejoindre la place en passant par le pont. Une haie de boucliers nous faisait dorénavant face, l’air grisé par les lacrymogènes devenait difficilement respirable, seul des lueurs rouges s’échappant des poubelles apparaissaient dans cette brume artificielle.
Les forces de l’ordre tentaient de démolir nos barricades, le glas de notre révolte avait sonné, les matraques frappaient les boucliers en guise d’avertissement, peu importe combien de nous tomberons lors de cette révolution : « Nous sommes tous des enragés ! »...
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